La grande nostalgie – le jumeau perdu

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« SEIN 9/2010 »

Traduit par Michèle Gonzalez

Vous avez suivi beaucoup de thérapies et de séminaires et avez pourtant toujours ce sentiment de vide? Le sentiment qu’il vous manque toujours quelque chose ? Peut-être est-ce l’absence d’un jumeau qui était avec vous dans l’utérus, et qui est vraisemblablement décédé dès les premières semaines de grossesse ?

La conséquence : des sentiments de culpabilité chez le survivant, une tendance inconsciente à l’autodestruction dans la recherche du bonheur et du succès, et une nostalgie indéfinissable. Anna Bablinger- Cetin interroge Bettina et Alfred Ramoda Austermann.

Vous dites que le fait que quelqu’un, en tant qu’embryon dans l’utérus, ait eu un jumeau ou non, joue un grand rôle pour la vie présente. Mais n’est-ce pas très loin des possibilités de perception consciente ?

Ramoda : L’enfant entend déjà très tôt dans l’utérus. Quand trois semaines après l’unification du spermatozoïde et de l’ovule le coeur commence à battre, les oreilles sont déjà formées. Même s’il n’y a pas encore de cerveau pour enregistrer ces informations, quand un autre coeur bat, il est perçu très tôt chez le jumeau et enregistré au niveau cellulaire. Chez un embryon âgé de quatre semaines dont la taille ne dépasse pas un centimètre, le coeur occupe un tiers du corps entier.

Quand un autre coeur bat alors à côté, il sera perçu de manière très forte, déjà au niveau mécanique. En plus, une liaison psychique se crée naturellement, qui sera ressentie très tôt, peut-être même déjà d’une trompe de Fallope à l’autre. Au début de notre travail, nous pensions encore qu’il n’y avait pas d’impact important lorsqu’ un jumeau disparaissait très tôt dans la grossesse ; nous avons dû depuis réviser notre position.

Nous savons maintenant, qu’une perte très précoce du jumeau a aussi un grand impact sur la vie du survivant.

Bettina : Quelquefois les jumeaux sont nidifiés très près l’un de l’autre, mais parfois ils sont aussi un peu éloignés l’un de l’autre dans l’utérus – chacun a sa propre poche des eaux – et pourtant : cette oscillation – il y a là quelque chose de vivant, quelque chose vit là – est ressentie de façon très prononcée. La peau est là aussi encore très fine, en fait tout est encore très perméable.

Comment êtes-vous arrivés au thème du jumeau né seul ?

Ramoda : J’ai rencontré clairement ce phénomène pour la première fois il y a 12 ans dans une constellation. Il y avait une jeune femme qui échouait systématiquement dans tout ce qu’elle entreprenait. Nous avons choisi un représentant pour elle et un pour l’origine de ses échecs. Les deux représentants se sont comportés étonnamment de manière très affectueuse l’un envers l’autre et toujours en miroir l’un de l’autre.

Le mot jumeau s’imposa de façon évidente à moi. La jeune femme acquiesça et confirma qu’on lui avait enlevé les deux ovaires à cause d’un gros kyste dermoïde, à l’âge de 17 ans ; au laboratoire, on y avait trouvé des cheveux et du tissu dentaire appartenant au jumeau disparu. Et ceci se reproduisit dans d’autres constellations, avec des perspectives différentes mais avec une dynamique similaire.

Il s’agissait toujours de personnes ayant une nostalgie insatiable et qui dans leur vie amoureuse et professionnelle collectionnaient les échecs. Ou bien des sentiments de culpabilité – parce qu’on pense qu’on aurait tué l’autre ou bien qu’on lui aurait « ôté le pain de la bouche » (ce qui est en fait très rarement le cas). Souvent derrière ces phénomènes se cache un jumeau perdu.

Ne s’agit-il pas là de cas isolés, rarissimes ?

Ramoda : Nous nous sommes penchés sur ce que les gynécologues savent sur le sujet et quand est-ce qu’ils s’en préoccupent au cours de la grossesse. Ce qui est intéressant est que, quand la première écographie est réalisée dans la neuvième semaine, beaucoup de jumeaux ont en fait déjà disparu.

Le nombre de 1 sur 10 semble à première vue très exagéré, mais beaucoup de spécialistes nous ont confirmé, que chaque dixième enfant peut absolument être un jumeau perdu.

Bettina : Certains prétendent même que chaque deuxième grossesse serait une grossesse gémellaire – mais personne ne connait vraiment la fréquence du phénomène. Il semble généralement que la proximité des jumeaux l’un par rapport à l’autre, la durée pendant laquelle l’autre a survécu, jouent un rôle important – selon les circonstances, l’impact est plus ou moins profond pour les survivants. Des personnes, dont le jumeau est mort pendant ou après la naissance, se présentent aussi à nous avec les mêmes symptômes.

Quelles conséquences peut avoir la perte d’un jumeau ?

Bettina : très différentes. Souvent un sentiment subtil de culpabilité, que l’on a évincé l’autre ou bien on pense : «je suis coupable, je n’ai pas assez fait, pour retenir l’autre, pour l’aider »

Ramoda : … et c’est aussi pour cela que je n’ose pas être heureux dans ma vie…

Bettina : oui, car ce serait une trahison envers l’autre, qui lui ne peut pas vivre. Le symptôme, de ne pas avoir de succès dans la vie, apparaît souvent par exemple sous la forme suivante : les gens ont vraiment de nombreuses compétences professionnelles, mais ne peuvent pas réellement les extérioriser. Dans les relations privées, on veut souvent fusionner avec le partenaire comme avec le jumeau, ce qui peut être vite trop intense pour ledit partenaire.

Ou bien la sexualité disparaît ; la relation est vraiment intime, mais la sexualité n’a plus de place, parce que tout est si tendre et fraternel. Ou bien : on n’ose absolument pas se permettre autant d’intimité, de rapprochement – surtout pas, plus jamais ! Ce pourrait de nouveau faire tellement mal. La personne opte alors pour des relations passagères ou des relations à distance. Beaucoup disent : j’aimerai tellement avoir de l’intimité avec mes partenaires mais ça ne fonctionne tout simplement pas. Si quelqu’un me touche un peu, je me retire.

Ramoda : Et si la relation se termine, c’est alors véritablement vécu comme une mort existentielle.

Bettina : Chez certains sujets apparaît alors un très grand désir de « suivre l’autre » et donc de vouloir mourir. Ceux-là ne sont pas vraiment ancrés dans la vie et s’engagent très peu. Ces symptômes sont rapidement classés comme dépressifs – c’est pourtant simplement le résultat d’une très grande nostalgie de l’autre et la douleur que l’autre ne soit plus là.

Ramoda : Certains provoquent par exemple toujours des accidents à répétition. D’autres indices sont : Si quelqu’un a une tendance à avoir tout en double, ou bien des femmes qui se promènent toujours avec un sac à mains bourré de tas de choses – le kit de survie, ces éléments peuvent être une indication d’un jumeau perdu. Ou bien les collectionneurs de bijoux, qui portent volontiers toujours deux éléments symétriques, par exemple deux dauphins dansants. Ou bien des femmes qui aiment toujours bien acheter deux paires de chaussures… en fait tout se fait inconsciemment aussi pour le jumeau perdu.

Bettina : et de très, très nombreux thérapeutes, les personnes ayant des professions d’assistance – ont en fait la grande motivation intérieure, de vouloir sauver leur jumeau. Il y a effectivement beaucoup de symptômes qui reflètent la perte d’un jumeau.

Ramoda : Lors des constellations, quand deux représentants se retrouvent face à face on peut, à la manière qu’ils ont de se regarder, faire clairement la différence s’il s’agit d’une relation mère/enfant, ou deux personnes à égalité. La différence est énorme. On peut voir, s’il s’agit d’une relation de couple ou d’un vécu prénatal. On voit et on sent dans une constellation l’énergie gémellaire, quand quelqu’un n’a pas été seul dans l’utérus.

Ce que vous avez décrit se retrouve en fait assez souvent à des degrés différents. Comment sais-je alors maintenant, si je possède un ou plusieurs de ces « symptômes », si j’ai un jumeau perdu ou bien s’il y a d’autres causes à cela ?

Ramoda : Le fait que la mère ait eu des saignements durant les premières semaines de sa grossesse représente un indice concret. Mais la plupart du temps le départ d’un jumeau se passe sans saignements, et alors les mères n’en savent rien non plus. Il est difficile de donner une réponse définitive à la question « comment puis-je le savoir ? »… Je dirais qu’un des symptômes principal serait: Si j’ai tout ce qu’il me faut dans la vie, mais que j’ai le sentiment permanent qu’il me manque quelque chose, comme la nostalgie de quelque chose. D’autres méthodes permettent également de s’en assurer comme les voyages intérieurs ou les tests musculaires de kinésiologie ou bien par un profond travail de respiration… ou naturellement par des constellations familiales… Entretemps beaucoup de personnes viennent à nos constellations familiales après avoir lu notre livre, que nous avons effectivement écrit pour les personnes concernées et dans lequel ils se retrouvent.

Bettina : C’est naturellement le grand désir de beaucoup d’entre nous : avoir une preuve noir sur blanc que ça me concerne effectivement. Hélas c’est quelque chose que nous ne pouvons pas certifier, et qui n’est malheureusement prouvé que dans peu de cas. C’est plutôt un sentiment intérieur qui se confirme dans de nombreuses situations. Et naturellement ce n’est pas toujours l’unique raison d’un mal-être, il y a toujours aussi d’autres thèmes qui s’y greffent.

Si j’ai maintenant l’impression que ça me concerne ou bien que ça me semble probable, que dois-je entreprendre ?

Bettina : C’est déjà pour beaucoup un pas important de sentir qu’ils n’étaient pas seuls à l’époque, qu’il y avait quelqu’un d’autre dans l’utérus. Certains continuent alors avec d’autres méthodes, par exemple, en régressant intérieurement dans le ventre de la mère. Pour beaucoup cela aide, à mieux se comprendre. Ce fût dramatique d’être abandonné par le premier grand amour, d’assister impuissant à son départ. Ceci explique pourquoi plus tard les choses se sont déroulées ainsi dans la vie. On peut alors se regarder avec beaucoup plus de compassion.

Ramoda : On ne peut pas en tous cas « décongeler à la va vite » le thème, qui est souvent relié à beaucoup de tensions, de peurs, de panique et même à la peur de mourir. Souvent des années sont nécessaires à la guérison. Le résultat est alors : on préserve la sensibilité que l’on a toujours eue, mais on devient plus stable et on s’engage avec plus de force dans la vie. En fin de compte il s’agit bien de ça. Pour beaucoup c’est déjà un très grand pas de l’avoir ressenti la première fois lors d’une constellation familiale. Ils se sentent ensuite plus complets, plus arrivés dans la vie.

Bettina : Et au milieu de tout ce malheur se trouve aussi dans ce thème du jumeau un grand cadeau. Il y a beaucoup de personnes compétentes et créatives qui se nourrissent du fait d’avoir été autrefois à deux dans le ventre de leur mère. D’une part des artistes, des musiciens, des peintres et des sculpteurs, qui par cette grande recherche de l’autre produisent des oeuvres merveilleuses. Et beaucoup de personnes sensibles, qui peuvent bien accompagner les autres, parce qu’ils sentent exactement ce dont l’autre a besoin et peuvent s’engager très intensivement auprès d’eux. Ils ont appris cette sensibilité si subtile à l’époque dans l’utérus. C’est pour cela : retrouve ton jumeau, et vis alors ta créativité – relié à lui.

Le livre correspondant : le syndrome du jumeau perdu ; édition : le souffle d’or 2007