Dans le noir: Meurs avant de mourir

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Auteur : Esther Norman CONNECTION novembre 1997

Traduit de l’allemand par Annouche Katzeff
Photos d’un stage 2007

Trois jours dans le ventre obscur de la terre

Le téléphone m’arrache du sommeil : « Ou est tu donc, le taxi attend ! » Au même moment, sonne mon réveil. En y jetant un regard : il sonne définitivement une heure en plus tard que programmé et ne se laisse éteindre qu’après un furieux retrait des piles. Un évènement étrange qui ne se reproduira plus jamais. Ma peur des grottes est apparemment si grande qu’elle mène des appareils électriques au délire. Départ complètement stressé, sans petit déjeuner et sans douche vers l’aéroport. Dans l’avion à destination de l île, je relis encore une fois la brochure de préparation au séminaire qui m’a quasi tout le temps accompagnée. Le titre en est : « Meurs avant de Mourir ».

J’ai été me promener dans les cimetières, j’ai jeune quelques jours, fais quelques exercices et ai médité. Je me suis confrontée à la question de savoir si j’allais vraiment me raser le crâne avant de pénétrer dans la grotte. Et cette réflexion se terminait la plus par du temps par un « mieux vaut pas », car un premier entretien pour un nouveau job m’attendait après le séminaire. De quoi cela aurait-il l’air, une femme qui se présente à un tel entretien avec le crâne rasé ?

Arrivée à l île , je suis fascinée de la nudité de l’île. L’environnement idéal pour se confronter au thème de la mort.

Je constate avec étonnement lorsque le groupe se rencontre, que nous ne sommes que des femmes. Les hommes seraient-ils trop lâches ? Un homme qui á l’origine n’était venu que pour des vacances, se joint spontanément à nous. Nous sommes maintenant sept.

Le propre discours mortuaire

Alfred Ramoda Austermann, thérapeute corporel, psychologue et praticien de la santé (heilpraktiker), conduit le groupe. Il a expérimenté la « mort bleue » sous la conduite de son maître soufi Jabrane Sebnat.
Nous faisons, la première semaine, des exercices de préparation à la solitude des trois jours qui nous attendent : des exercices Kum-Nye de méditation en mouvement, qui peuvent facilement être pratiqués dans l’obscurité ; des mantras, qui nous aideront à confronter des peurs qui émergeront et bien sûr des méditations en silence.

Ramoda nous conduit en douceur et intensivement en profondeur vers le thème de la Mort. La Mort, la seule chose sûr dans la vie, qui peut survenir à n’importe quel moment.

La question « que changerais-je, si je savais que je n’avais qu’un an à vivre ? », provoque des réponses étonnantes. J’écris mon propre discours mortuaire, qui me sera plus tard lu alors que je suis « enterrée » sous un drap blanc.

Nous nous promenons les yeux bandés au bord de la mer et faisons du travail de « nettoyages et de rangements ». Nous examinons notre cercle familial et d’amis, à la recherche de relations et situations non-éclarcies, et nous écrivons des lettres dans lesquelles, enfin nous mettons sur table ce qui aurait dû être dit depuis longtemps.

Les cinq premiers jours sont essentiellement concentrés sur un travail individuel, étant donné que chacun, dans la grotte, sera pour soi. Cependant je me sens reliée aux autres participants comme rarement dans un groupe auparavant. Chacun, ici, á réfléchit á ce pas. Chacun se trouve á un moment décisif de sa vie. Chaque chose que nous faisons, se passe calmement, lentement. Rien pour se décharger. Cela fait monter la tension. Je me sens souvent comme cuite á petit feu, et ai souvent l’impression de bientôt éclater si je ne fais pas tout de suite une « Méditation Dynamique ». En même temps, je remarque que ce travail doux, m’amène très proche du thème central.

Le thème Peur avec toutes ses facettes apparaît si et là. Et il me vient clairement à la conscience que toutes mes peurs sont des peurs du futur. Que se passera-t-il si je m’ennuie 3 jours ? Que se passera-t-il si j’ai peur de mes propres ombres ? Si j’ai peur d’être seule ? Si je tombe dans le noir et me brise les os ? Si je ne sais plus quoi faire de mon besoin de bouger ? Si je ne le supporte plus et sort avant le temps prévu …

Pas de compromis

Le jour du départ arrive enfin. Nous prenons tous le petit déjeuner encore une fois avec délice et nous faisons nos bagages : sac de couchage, matelas, lampe de poche et lampe à mettre sur le front, 2 bougies et des allumettes, 5 litres d’eau, quelques fruits secs et muesli, papier journal et papier de toilette et une bouteille vide, afin de transporter les urines et les selles hors de la grottes car elles ne s’y décomposent pas. Et chacun veut aussi prendre un talisman ou un animal en peluche avec soi.

Ensuite nous tirons les cartes de Tarot. Je demande ce qui va se passer pour moi dans la grotte et tire « Compromis »- Okay, plus de compromis ! Je vais me raser les cheveux. Autant y aller ! Je veux me déshabiller complètement face á la Terre Mère, et veut me couper symboliquement de mon passé, pénétrer la grotte comme un nouveau-né, ou bien avec un crâne nu comme une tête de mort ?

Nous passons la nuit à la belle étoile devant la grotte. Nous restons encore longtemps assis devant la bouche géante de son entrée et prêtons oreilles aux bruits de la nuit. Je ne peux me rassasier de regarder les étoiles.

Le lendemain, nous nous préparons á la descente. Mon Dieu, c’est là que je dois descendre ? Ce cratère illuminé par le soleil, de 100m de diamètre et de 30m de profondeur, m’apparaît comme l’avant-cour de l’enfer. Et comme si cela ne suffisait pas, il y a des ossement blancs et pâles, d’animaux répartis dans les broussailles.

Nous atteignons l’entrée, une demi-heure plus tard. Les ciseaux et les lames de rasoirs sont déballés. A part moi, une seule personne encore ose ce pas décisif. Chacun peut nous couper une mèche de cheveux. La première mche est emballée dans un tissu, que nous porterons ensuite autour du cou en amulette protectrice. Je n’oublierai jamais le bruit des ciseaux sur mon crâne. Une femme refuse d’aider à couper. Elle ne peut à peine supporter de regarder. Une autre nous trouve à chaque coupe de plus en plus belle. Il aura fallu plus de deux heures pour que nos têtes soient enfin miroitantes. Mes cheveux seront attentivement ramassés et emballés dans un sac. Quand je me regarde dans un miroir, c’est une tout autre personne qui m’est réfléchie : tellement de visage, mes mimiques deviennent plus franches, plus rien à cacher et- vraiment, je me plaît.

Un carrousel de pensées

Höhlenseminar auf Korsika
Höhlenseminar

Plus rien ne nous retient, alors, de prendre le chemin vers l’obscurité. Nous nous prenons une dernière fois par les mains et marchons ensuite en silence dans l’obscurité croissante du Ventre de la Terre Mère. Nous laissons derrière nous les bruits du vent, de la mer et des oiseaux.

La promenade se transforme en escalade, partout des gros rochers. Nous marchons jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une lueur de lumière. Nous rencontrons plus loin une plateforme, et un participant décide d’y rester. Le groupe se réduit au fur et à mesure de notre avance. Je prends l’avant-dernière place dans le « ventre de pierre ». Oui, c’est très clair, c’est le bon emplacement pour moi. J’organise mon campement à la lueur d’une bougie. Je déplace des pierres, essaye longtemps comment je vais pouvoir me coucher confortablement, place tous les ustensiles à portée de mains, et lorsque je ne trouve plus rien d’autre à faire, j’éteins la bougie. Obscurité. Je ne vois absolument plus rien, me tâtonne les yeux, car je ne sais plus si je les ai ouverts ou fermés. Et puis le silence, Je n’entends que ma propre respiration.

Et maintenant ? Que vais-je faire ? Le mieux, c’est que j’essaye de dormir. L’exploration rampante de la grotte était fatigante. Et, en effet, je m’endors bientôt.

Je me réveille irritée et inquiète. J’espère avoir dormi longtemps, afin d’avoir ainsi écoulé beaucoup de temps. Je me lève prudemment, allume la bougie, boit un peu d’eau, éteins la bougie rapidement. Elle doit tenir encore longtemps. J’essaye quelques uns des exercices appris, mais ne peux me concentrer. Mille pensées dans la tête. Va-t-on me trouver belle avec la tête rasée ?

Je tâte mon environnement, me recouche, somnole, rêve sauvagement, me lève, mange quelques figues et observe le carrousel de mes pensées. Combien de temps se serait-il déjà écoulé ?

Perte de la notion de temps

Je m’arrange une place assise á une paroi, me blotti contre les roches et écoute le silence, regarde dans le noir et vois- une lumière, une forme lumineuse, une »femme de lumière ». Cette apparition m’apparaît comme normale et évidente.

Cette femme me fait comprendre clairement que c’est tout à fait okay que je me repose simplement pendant trois jours. Un poids lourd m’en tombe. Je prends conscience du stress que je me suis fait, que je devais vivre ici quelque chose de particulièrement important. Je suis couchée interminablement sur les rochers, pendant que ma vie défile devant moi.
A un moment donné, j’entends des claquements de cailloux. Je reçois de la visite ! C’est Ramoda qui fait un tour de contrôle. Mon cœur bondit de joie. Il s’assoit á coté de moi pour un instant, me demande si tout va bien et me dit que nous sommes maintenant au premier soir. Quoi ? Seulement ? S’il m’avait dit que j’étais assise ici depuis deux jours, je l’aurais cru. Avec quelle rapidité j’ai perdu la notion du temps !

Lorsque je suis à nouveau seule, me viennent mes amis à l’esprit. Je remarque combien ils sont importants à mes yeux, combien je suis inattentive lors de nos rencontres, combien un moment de rencontre silencieux est précieux.

Mon odorat s’accentue de plus en plus. Je sens quand un compagnon des grottes souffle une bougie à plus de cent mètres de là, je perçois des sueurs froides, parfois une brise salée de la mer avec une odeur de poisson. La bouteille pour pisser se rempli, ma bougie rétréci. Tous ces signes qui me montrent que le temps passe. Le silence se fait peu à peu en moi. Et le carrousel des pensées se ralentit. Parfois, ma respiration est si lente que je me demande comment cela suffit pour approvisionner mon corps en oxygène. Manger devient complètement sans importance. De temps en temps un abricot, et déjà je suis rassasiée. Ici, en bas, je suis d’une certaine manière nourrie autrement.
Une fois, alors j’avais allumé ma bougie, je vois quelque chose briller entre les pierres. Je le saisis, et ai un petit cristal dans la main. Un cadeau de la Terre Mère pour moi. Un sentiment doux de bonheur m’envahit.

Plus tard, j’ai clairement l’impression que quelqu’un me caresse le front avec douceur. Je me sens en sûreté, dans de bonnes mains, aimée, ai un sentiment clair de sécurité. Ici, il ne peut rien m’arriver de grave. Je sens qu’il existe un niveau qui prend soin de moi, où je suis aimée sans conditions. Quelque chose de très tendre, qui vibre á chaque seconde de ma vie, et que je met de côté dans le stress quotidien. Je pleure. C’est incroyablement beau d’être là simplement. Plus de pensées. Je suis- et c’est amplement suffisant. Cette expérience est le cadeau le plus grand que je prends avec moi hors de la grotte.

Retour au monde

A un moment donné, je reçois l’information que nous sortons dans une heure ! Quoi ? Déjà ? J’emballe avec joie mes affaires et j’ai presque terminé lorsque Ramoda revient avec une participante. J’ai mis une heure pour rassembler les quelques affaires que j’avais ? Apparemment je bouge très lentement. Le chemin du retour ou le groupe grandit au fur et á mesure de notre avance, est très lent.

Nous avons tous les jambes en cotton. Beaucoup d’intimes enlacements. C’est formidable de sentir d’autre être humains. Et là – les premières lueurs de lumières. Plus nous nous rapprochons de l’entrée de la grotte, plus colorées apparaissent les rochers, mousse verte, et puis une tache de ciel bleu- incroyable- comme du velours. Et en suite le soleil ! Tellement lumineux, qu’il est á peine supportable. Nous nous reposons directement avant la sortie afin de s’habituer à la lumière. Quelques oiseaux passent et rient- vraiment : ils ne piaillent pas, ils rient et se réjouissent avec nous.

Ramoda qui a tenu la garde tout ce temps à l’entrée de la grotte, nous prépare un café sur son camping-gaz. C’est le meilleur café de ma vie, qui est parfumé de mes larmes de joie.

Un bonjour d’en haut : de là nous attend Marie, du centre, pour venir nous chercher. Elle a amené des biscuits. Délicieux. Elle s’extasie devant nos crânes rasés.

Le voyage de retour vers le centre est un voyage á travers un nouveau paysage. Je n’avais jamais remarqué avant combien de couleurs différents cette île pouvait avoir, comme les collines pouvaient être magnifiquement formées, et combien l’air contient d’ép

ices.

Ensuite, vient le choc culturel : les voitures, les gens, les têtes qui se tournent vers nous, la musique á tue tête. Je remarque alors seulement combien je suis devenue sensible, je me sens fragile et délicate comme un nouveau-né. Mais le groupe me donne protection. Nous restons constamment ensemble. Nous nous enlaçons de temps á autre et faisons attention les uns aux autres.

L’après-midi, nous nous rassemblons pour partager ce que nous avons vécu. Une participante pleure en racontant- pour la première fois depuis 40 ans ( !). Une autre, au paravent très sérieuse, devient comme une petite fille qui éclabousse dans une baignoire et joue avec des petits canards. Et moi, la « power femme », découvre avec émerveillement la force qui est dans la douceur. Sept participants qui on vécus la même chose pendant trois jours : assis dans une grotte, dans l’obscurité et le silence. Sept histoires complètement différentes. Jamais il ne m’était aussi clairement apparu que chacun construit son propre monde.

Le lendemain, je me rends avec ma toison de cheveux aux falaises et l’offre à la mer. Et pendant que j’observe comment elle est lentement dissoute par les vagues, je prends conscience qu’une partie de mon passé, une partie de mon masque et des mes peurs s’engl

outissent avec elle.

Ramoda nous prépare à nouveau, pendant les quatre jours suivants, au quotidien. Nous faisons des exercices d’intégrations corporels et il est clair pour chacun d’entre nous que la nouvelle vie promet quelques changements. On rie et on s’embrasse beaucoup. Les personnes travaillant au centre nous partagent que nous sommes le »groupe de la mort » le plus rigolo que le centre n’aie jamais eu.

A propos, en rentrant á Berlin, je rencontre mon ami avec je suis encore, et que j’ai attiré justement á cause de ma tête rasée. Et j’ai aussi tout de suite trouvé un nouveau job.

Prochain stage 19. – 28.11.2020

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