Mourir et après… Un accompagnement du mourant rempli d’amour

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– Article « Sein » 11/2006

Auteur : Alfred Ramoda Austermann

Traduction : Barbara Haller

N’ayez plus peur de vos morts tant aimés

Dans notre culture, la mort ainsi que la fréquentation des cadavres, sont souvent, par crainte, rendus complètement anonymes. La plupart du temps tout le processus est remis entre les mains d’instituts spécialisés. Quel dommage se dit le psychothérapeute Alfred Ramoda Austermann. Avec sa femme Bettina il a accompagné son propre père vers la mort, et en a été pleinement récompensé.

Aufstellungen, verlorener Zwilling - Seminare Berlin - Täter, Opfer« Ton père se porte très mal. Viens tout de suite si tu veux le voir encore une fois vivant. » L’appel de mon beau-frère n’est pas complètement inattendu, mais malgré tout choquant. Nous faisons immédiatement nos valises et partons de suite pour Münster.

Il y a à peine deux jours nous avons, avec Bettina et ma mère, rendu visite à l’hôpital à mon père de 82 ans gravement malade d’un cancer des poumons. Nous lui avions apporté quelque chose de bon à manger, qu’il a d’ailleurs mangé volontiers: des crevettes grillées à l’ail et une bière fraîche (qui a été introduite dans l’hôpital de manière illicite). Il régnait une atmosphère agréable et sensitive entre nous. Ce fût le dernier repas partagé avec une partie de la famille.

Suite au repas, le fait d’aller aux toilettes lui a coûté tant d’énergie, qu’il a dû, pour nous dire au revoir, rassembler longtemps ses forces en plus de de ses difficultés pour respirer. A peine nous étions partis arriva l’appel suivant : « ton père vient de mourir, il s’est endormi en paix. ».

Soulagement, une sensation de chaleur dans le coeur, reconnaissance et tristesse, tout se mélange en quelques fractions de secondes.

Ma mère et mes soeurs étaient présentes lors de ses derniers instants de vie. Bien entendu j’aurai également aimé être présent. Néanmoins je voulais le voir dans sa chambre de mort. Ma soeur a tout arrangé avec l’hôpital. Pour l’aimable personnel de l’hôpital de St. Clemens ce ne fût pas un problème de laisser mon père encore quelques temps dans sa chambre.

Puis la vision : mon père – et quand même plus tout à fait lui – au lit, avec la bouche ouverte et tombante, sans dentier ; on avait tenté, à l’aide de linges enroulés, de lui maintenir la bouche fermée. Ses mains cireuses et enflées posées sur son ventre. Dans la pièce règne une ambiance intemporelle, de paix. Nous le touchons tous les deux à l’épaule et à la poitrine.

Son coeur est encore chaud. Il semblé libéré, même si sur ses traits on retrouve la trace de son combat avant la mort. Durant un long moment nous nous asseyons et profitons du calme dans le silence.

Le corps mort lutte encore

Aufstellungen, verlorener Zwilling - Seminare Berlin - SterbebegleitungA d’autres moments règne également une certaine agitation dans la chambre. Après être restés une heure auprès du mort jefais part à Bettina d’une observation que j’ai pris pour une hallucination (ou comme un voeu secret de ma part) : il y avait toujours un léger mouvement de respiration de la poitrine – elle bougeait et en même temps ne bougeait pas. « Quoi ? Toi aussi ? » Me dit Bettina, « j’ai vu exactement la même chose et j’ai pensé que j’étais devenue folle ». Bettina a effectué des trainings de perception à travers des thérapies corporelles et des constellations familiales et est capable de suivre les mouvements de l’âme. Tout à coup elle se lève et dispose les mains de mon père en pleine conscience sur sa poitrine et lui dit pleine d’amour : « c’est fini, tu n’as plus besoin de lutter pour obtenir de l’air. »

Elle ressent un léger craquement sous ses mains qui l’effraie un instant. Ensuite l’atmosphère dans la pièce devient encore plus paisible. Maintenant il n’y a plus de mouvement de l’aura de la poitrine. Ensuite nous nous adressons à lui et lui expliquons que nous allons chanter le mantra Gayatri et lui disons ce qu’il signifie. Nous sentons sa présence. Paisible et profonde et en même temps totalement quotidienne, comme aller faire des courses. Cela semble singulier à ma raison. Mais c’est vraiment totalement quotidien. Pas de trace de sacré – et néanmoins le sacré est très présent.

Dernière massage à l’huile

J’ai lu qu’il était bénéfique pour les morts de masser les chakras dans le sens contraire des aiguilles d’une montre afin que les énergies qui sont encore prisonnières dans le corps, puissent retourner dans l’univers. C’est avec plaisir que j’ai massé à l’aide d’huile odorante les centres d’énergie de mon père. Les larmes me viennent, des larmes de tristesse et de reconnaissance. Dehors, à l’horizon, le soleil se couche. Nous restons là, dans le silence, nous regardons le mort et le jeu des couleurs à l’extérieur. Mon père était un amoureux de la nature et nous avons souvent admiré les couchers de soleil. Ce coucher de soleil pour accompagner ce corps mort est un cadeau d’adieu particulier. Ce n’est que lorsque l’obscurité s’est installée que nous quittons mon père. Quel dommage que la veille des morts ne soit plus usuelle. Ce sont des heures précieuses. J’aurai préféré pouvoir le ramener à la maison pour les trois jours autorisés restants. Mais pour des raisons familiales ceci n’était également pas possible. Parfois lorsque je suis chez moi à la maison j’ai l’impression qu’il est présent. Une atmosphère trouble règne. Je lui explique, comme je l’ai souvent vécu de façon bienfaisante durant les constellations familiales, comment il est mort et qu’on lui a administré beaucoup de morphine à la fin de ses jours. Ensuite tout redevient paisible et tranquille.

La toilette et l’habillement

Lors de la visite de ma soeur, il m’est apparu clairement que je désirais si possible m’occuper de la toilette et de l’habillement de mon père. Mon frère et mes soeurs sont d’accord, même si eux ne se sentent pas capables de le faire. Pour les employés des pompes funèbres cela ne représente pas de problème, mais il est rare que cela soit fait par les proches. Nos voisins à la campagne le font toujours eux-mêmes – je comprends pourquoi maintenant. Trois jours après sa mort, les employés des pompes funèbres nous accompagnent vers la chambre froide de l’hôpital. Je savais que je devais m’attendre à un corps froid et rigide, posé sur un brancard sobre en inox. Malgré mes appréhensions ce ne fût pas grave à vivre. Je n’ai pas besoin de gants en latex comme les employés des pompes funèbres. C’est mon père. Ces messieurs nous laissent seuls, pleins de compréhension. A l’aide de serviettes humides et d’un gel douche, nous procédons à son dernier lavage. Nous lui parlons et lui expliquons ce que nous faisons. C’est un très beau rituel, empli d’amour. Le sang s’est regroupé sous la peau dans certaines parties du corps et dans les parties intimes. Ce n’est pas vraiment la même chose que lorsqu’il était vivant. Mais sa verrue indiscrète au dos, que j’admirai déjà enfant, me saute aux yeux maintenant aussi. Le soin des ongles et l’habillement font également partie de ce rituel. C’est fatiguant physiquement, car il est plus rigide et plus lourd que lorsqu’il était vivant. C’est également difficile avec 36° à l’extérieur de maintenir son corps sec, car il y a sans arrêt de l’eau condensée qui se forme. Je n’avais encore jamais touché un mort avant. Mais cela n’est pas désagréable de prodiguer ces soins à mon père avec l’aide de Bettina. C’est avec amour que je lave encore une fois mon père et l’enduis d’huile de massage. Malgré tout l’inhabituel de la situation cette dernière me semble normale, ce que ma raison ne comprend qu’avec difficulté. J’ai souvent porté des sannyasins morts vers les places d’incinération à Poona à l’Ashram d’Osho. C’est là que j’ai appris à démystifier le corps d’un mort. Avec l’aide des employés du pompes funèbres nous portons mon père deux heures et demie plus tard dans le cercueil et l’amenons dans la pièce adjacente. Nous avons été surpris d’y trouver une jolie chapelle avec beaucoup de bougies, que l’employé des pompes funèbres allume pour nous. Tout propre et en costume, mon père semble endormi. Dans la chapelle nous méditons encore en sa présence et chantons le mantra de Gayatri. Nous sentons à nouveau sa présence. Puis nous l’accompagnons en suivant le corbillard vers le cimetière.

Fermer le cercueil

Aufstellungen, verlorener Zwilling - Seminare Berlin - GrabstätteL’occasion nous est à nouveau donnée de dire au revoir lors de l’enterrement. Le cercueil peut rester ouvert jusqu’à environ une heure avant l’enterrement, puis il est refermé. Il semble plus loin maintenant. Le corps ne représente plus qu’une enveloppe. Sa présence semble s’être éloignée. Le dernier au revoir semble proche. Je prends ma guitare et lui joue encore une fois le « Nocturno » qu’il a toujours fort apprécié. Je prends encore une fois ses mains dans les miennes et pose ma tête sur ses épaules. Puis arrive pour moi un rituel important : Bettina et moi nous prenons le couvercle du cercueil et le rabattons. Un dernier regard à son visage et ensuite je referme le cercueil pour toujours, des larmes dans les yeux. Un cercle parfait. Les rituels sont importants : Le père coupe le cordon ombilical de son fils nouveau-né et le fils referme le couvercle du cercueil sur son père… quand dans la vie tout se passe bien. Quel dommage que nous ayons abandonné bon nombre de rituels…. L’enterrement peut maintenant commencer.

Le dernier discours

Encouragé par mon beau-frère j’ai préparé un petit discours personnel, afin d’accompagner le prêtre, qui n’a pas connu mon père, dans le rituel de l’enterrement. Beaucoup de personnes présentes ont été très émues par mon discours et me remercieront plus tard, lors du café. Ici quelques extraits :

« Nous enterrons un homme ordinaire, qui était très reconnaissant envers les cadeaux de la vie et qui s’en réjouissait. Si nous prenons congé de cet homme, ce n’est pas sans amour et reconnaissance pour tout ce qu’il nous a offert en cadeau. Une grande vie est arrivée à sa fin. Il a été délivré de ses souffrances. Et si lorsque nous nous séparons de lui quelques larmes coulent, ce sont des larmes de douleur bien sûr, mais surtout de gratitude. Merci papa. »